Actuelles II (1953)

Le deuxième recueil des écrits politiques de Camus couvre les moments les plus inquiétants de la guerre froide, du coup de Prague (1948) à la mort de Staline (1953). Les tensions ne sont pas seulement vives au niveau international – le sentiment de l’éventualité d’une troisième guerre mondiale reste persistant tout au long de la période – elles parcourent aussi tous les intellectuels et artistes sommés de choisir leur camp et, en ce qui concerne la France, de se positionner par rapport au Parti communiste.
En 1951, Camus fait paraître L’Homme révolté où il examine les conditions du maintien de la liberté que la révolte contre la tyrannie et l’injustice incarne. L’importance du livre peut se mesurer, s’il en est besoin, à la quantité des commentaires et des critiques qu’il suscite tant à droite qu’à gauche. Camus doit y répondre et s’engage alors dans de nombreuses polémiques qui font l’objet du chapitre central d’Actuelles II : sept textes (sur les seize du recueil) reviennent sur les enjeux de la révolte en croisant le fer avec, entre autres, André Breton, Aimé Patri, la nouvelle gauche de L’Observateur et surtout Jean-Paul Sartre et Francis Jeanson des Temps modernes. Camus ayant renoncé à publier « Défense de L’Homme révolté » écrit à la suite de ces polémiques, leur lecture devient indispensable pour prendre connaissance des nuances et interprétations qu’il apporte à son essai. Ils se présentent, en dehors d’une interview avec Pierre Berger, sous la forme épistolaire et demanderaient donc à être lus en vis-à-vis des critiques qui les ont suscités.
De part et d’autre de ces « Lettres sur la révolte », Camus, qui n’exerce plus d’activité journalistique régulière depuis son départ de Combat en 1947, choisit de publier préfaces, allocutions, interviews et un rare article de journal, selon un ordre quasi chronologique. La première partie intitulée « Justice et haine » reflète le désenchantement survenu après la Seconde Guerre mondiale : l’odyssée des Juifs vers une terre qui ne leur est pas vraiment promise, les attaques contre la Résistance et le retour de la droite vichyste sur la scène française, les ravages du mensonge politique et de l’injustice.
Même si les circonstances restent toujours aussi sombres, la dernière partie, elle, conduit le lecteur à un optimisme modéré, avec des textes suscités par l’affaire Henri Martin durant la guerre d’Indochine, l’entrée de l’Espagne franquiste à l’UNESCO, la publication du témoignage d’Alfred Rosmer sur la révolution de 1917, la tenue d’un meeting syndicaliste et libertaire. Son titre résume bien la tonalité de l’ensemble : « Création et liberté ». Le recueil s’achève tout comme le précédent par une réflexion sur la place de l’artiste dans la société, son engagement en tant que créateur et en tant que citoyen.
Ce deuxième volume des Actuelles n’a jamais suscité le même intérêt que les deux autres et il n’a pas encore fait l’objet d’une édition de poche. On aurait tort cependant de l’ignorer. Sa lecture est essentielle pour comprendre la contribution de Camus aux idées libertaires et sa place dans la gauche non communiste; les fréquents traits d’ironie voire d’humour noir qui l’émaillent raviront également les esprits. Dans les Carnets, Camus l’a envisagé comme une sorte de bilan fait au sortir de ces sombres années avant de s’engager dans une nouvelle étape de sa vie d’écrivain : « Octobre 53. Publication d’Actuelles II. L’inventaire est terminé – le commentaire et la polémique. Désormais, la création. »

Philippe Vanney

 

Éléments bibliographiques :

R. Grenier, Albert Camus. Soleil et ombre, Gallimard, 1987, coll. Folio, p. 275-282

P. Grouix, « Actuelles II », Dictionnaire Albert Camus; J. Guérin édit. Laffont, 2009 p.18-21

J. Guérin, Camus. Portrait de l’artiste en citoyen, François Bourin, 1993

Anne-Marie Tournebize
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