En 1982, lors du premier colloque de Cerisy-la-Salle, la nécessité d’un regroupement des camusiens s’est fait sentir : La Société des Études Camusiennes a alors été créée par Raymond Gay-Crosier et Jacqueline Lévi-Valensi. Elle a été présidée par Jacqueline Lévi-Valensi de 1982 à 2004 et par Agnès Spiquel de 2005 à 2020. Anne Prouteau lui a succédé et est l’actuelle présidente.
La Société des Études Camusiennes réunit des amateurs et des lecteurs de l’œuvre d’Albert Camus, à travers le monde : elle compte des adhérents dans 24 pays, sur les 5 continents. Au Japon, les adhérents sont regroupés en une section dirigée par Hiroshi Mino. Aux États-Unis, la section est dirigée par Jason Herbeck. En Amérique latine, par Inès de Cassagne. Les 20 membres du Conseil d’Administration de la SEC, dont vous trouverez la liste sur cette page, viennent de 8 pays différents.
La Société des Études Camusiennes se donne pour objectif de participer à la connaissance de la vie, la pensée et l’œuvre de l’écrivain grâce à :
Pour adhérer à la SEC, veuillez nous renvoyer le bulletin d’adhésion, accessible en cliquant ICI.
17 membres élus le 21 janvier 2023
ABDELKRIM Zedjiga
AMIS Eric
BASSET Guy
BLONDEAU Marie-Thérèse
KOUCHKINE Eugène
LAGER Alexis
LARUE Rémi
LUPO Virginie
MAZZA Vincenzo
MATHIEU-JOB Martine
PHÉLINE Christian
PROUTEAU Anne
REY Pierre-Louis
RUFAT Hélène
SPIQUEL Agnès
TOURNEBIZE Anne-Marie
WALKER David
3 membres de droit
CASSAGNE Inés de. (présidente de la société latino-américaine)
HERBECK Jason (président de la section nord-américaine)
MINO Hiroshi (président de la section japonaise)
La liste des conseillers honoraires sera établie lors de la première réunion de ce nouveau CA
Bureau de la SEC élu le 21 janvier 2023 :
Présidente : Anne PROUTEAU
Vice-présidents : Marie-Thérèse BLONDEAU, Jason HERBECK, Hiroshi MINO
Secrétaire et secrétaire-adjointe : Alexis LAGER et Anne-Marie TOURNEBIZE
Trésorier et trésorier-adjoint : Eric AMIS et Rémi LARUE
Je connaissais Camus comme tout professeur de français pouvait/devait le connaître, sans plus. Signe du destin, quand même : lors de ma première inspection, j'expliquais avec les élèves de première la dernière page de L'Étranger. Mais c'est avec Jacqueline Lévi-Valensi que j'ai vraiment « rencontré » Camus. À partir de 1991, à Amiens, dans la relation d'amitié nouée avec elle, j'ai eu la meilleure guide qui soit, à la fois compétente et passionnée, à travers l'œuvre de Camus. Par elle aussi, j'ai compris qu'un écrivain pouvait aider à vivre. Alors j'ai vraiment lu Camus, me sentant en résonance avec ce qu'il dégage d'énergie, de générosité et de goût du bonheur – et aussi de désespoir. J'ai saisi peu à peu les grandes lignes de l'œuvre et son unité profonde, comme un paysage que l'on explore et qui devient familier, de quelque endroit qu'on le regarde. Découvrant où s'enracinaient les engagements de Camus, j'en ai mieux compris la force – et ce mélange de conviction solide et d'absence de certitude qu'on lit partout dans les Carnets... En 1994, Le Premier Homme avait été un éblouissement : le livre m'était si proche à tant d'égards ; et l'écriture, à la fois frémissante et précise, me comblait. Qu'on m'en ait confié la publication dans la Pléiade a été un immense cadeau : pendant les deux ans où j'ai vécu avec ce texte, j'ai vraiment l'impression d'avoir rencontré Camus. D'autres engagements, en même temps, m'amenaient régulièrement en Algérie et j'ai été prise de passion pour ce pays et pour ses habitants. Tout se rejoignait : les étudiants que je formais étaient l'Algérie du XXIe siècle, qui sortait de la « décennie noire » ; et, pour éclairer les contextes de l'œuvre camusienne, j'approfondissais l'histoire de l'Algérie du XXe siècle : la guerre d'indépendance et, remontant encore dans le temps, les années 30 à Alger. Parler de Camus est désormais pour moi un constant bonheur...
Agnès Spiquel
Puis-je dater avec précision mes premières lectures de Camus ? Absolument, puisque j’ai inscrit les dates à la dernière page des livres, à partir de mon exemplaire de L’Étranger, qui porte d’ailleurs l’achevé d’imprimer 12-1960 : « Mars 59 (en danois) 30.IV.61 ». Je sais aussi, positivement, pourquoi j’ai relu L’Étranger en français en avril 1961 : Au lycée, en 2e, nous sommes en 1960-1961, notre professeur de français nous a confié qu’il avait lu tant de fois L’Étranger en classe qu’il avait décidé maintenant de passer à autre chose, à savoir à Un cœur simple. Autre chose, c’est le cas de le dire ! Mais puisque ce professeur hautement respecté avait tant de fois lu L’Étranger, il fallait que ce soit un bon texte, donc relecture, et en français. Après, coup sur coup, ce fut Le Mythe de Sisyphe (« 17 avril 60 »), L’Exil et le royaume (« 6. V. 61 »), un choix de textes pris dans L’Envers et l’endroit, Noces, L’Été, avec le Discours de Suède, (« 18.IV.62 »), mais tout cela en danois. À l’Université dominaient dans les années soixante la critique structuraliste, puis les multiples théorisations dictant l’accès à la littérature aux dépens de celle-ci (voir Henri Godard, « Faire œuvre de critique littéraire après Mai 68 », NRF no 640, janvier 2020). Ce n’était qu’une dizaine d’années après que, par le biais de l’histoire de la littérature, mon domaine comme enseignant et chercheur, l’importance de Camus m’est apparue avec une évidence qui rendait son œuvre et ses pensées incontournables. Plus tard encore, je venais de commencer, à l’automne 1989, un cours sur deux semestres, axé sur Actuelles, lorsque le mur de Berlin est tombé – à l’euphorie causée par l’actualité s’est ajoutée notre fascination des passages chez Camus tels que ceux-ci que je retrouve dans mes vieilles notes : « Les Alliés auront rendu possible notre libération. Mais notre liberté, c’est à nous-mêmes qu’il appartient de l’établir. Le combat continue… » « On ne peut haïr sans mentir… » « Nous sommes peut-être entrés dans une liberté où nous pouvons nous livrer à la vérité… » La prise en compte, chez Camus, de l’histoire, la grande et la sienne propre, l’importance qu’il accordait sans faille à l’individu et à l’amitié (je ne cesse de revenir à La Peste), son style si soigné, classique, fort dans les cadences (voir la fin de « Retour à Tipasa » : … apprendre une dernière fois ce que je sais ») – tout allait dans le sens d’une réévaluation de l’Auteur et de l’étude de la genèse du texte littéraire dans le contexte, et me portait aussi à stimuler les étudiants dans leur intérêt pour l’élément autobiographique, pas en tant que tel, mais comme force dynamique, dans Le Premier Homme, pour mesurer le rôle de ce moteur depuis un certain temps négligé chez les écrivains. Pourtant, la personne d’Albert Camus reste pour moi une personne-écrivain que je n’ai jamais vraiment « rencontrée », le héros d’une fable plutôt que le jeune homme engagé dans l’art de la scène, ou le littérateur montant les escaliers de Gallimard, rue Sébastien-Bottin. J’écoute sa voix contrainte par le rôle officiel qu’il acceptait malgré lui de jouer, je regarde les centaines de photos qui existent… c’est toujours un étranger, compliqué et difficile à saisir dans son désaccord avec lui-même, encore que facile à comprendre dans ses enthousiasmes.
Hans Peter Lund
« On ne peut être hors du monde » … Ces mots continuent de résonner comme une certitude rassurante à l’issue de la conférence de Raphaël Enthoven. « Hors de moi, disponible, poreux au monde, je fais l’expérience selon laquelle il n’est rien hors du monde, l’expérience de l’immanence ». Le professeur vient de livrer une exégèse passionnée de la pensée camusienne, évoquant tour à tour Noces, L’Homme révolté, La Chute, Le Mythe de Sisyphe... J’en sors bouleversée. Ce n’est pas ma première rencontre avec Camus, mais c’est la première fois que sa voix me parvient si clairement. Je relis Les Justes, L’Étranger et La Peste, les compare avec La Nausée et Les Mains sales, dévore Le Premier Homme, explore les chroniques camusiennes dans Combat et dans L’Express, et rencontre enfin Camus par lui-même, son histoire familiale complexe, son humanisme au plus fort des luttes politiques et des rivalités intellectuelles. Paris-Pézenas-Alger-Tipasa, 2014-2016 Quatre ans plus tard, Camus ressurgit dans un autre cadre, celui des métiers du livre, sous l’égide de la commémoration nationale du centenaire de la naissance d’Edmond Charlot. Je découvre une fraternité solaire, une communauté d’amis intemporelle et internationale, ceux d’hier et d’aujourd’hui, d’une rive à l’autre de la Méditerranée. Ils me font voyager dans le temps, au cœur d’une mémoire toujours vivante, et me conduisent jusqu’à Alger, en passant par Pézenas. L’engagement pacifiste de Camus au sein de la guerre d’Algérie sort des livres pour s’incarner dans un colloque, sur les lieux mêmes de l’événement, à l’occasion du soixantième anniversaire de « l’Appel pour une trêve civile ». Et, par un effet de retour, c’est à Tipasa que mes rencontres avec Camus forment une boucle : la pluie diluvienne, le tonnerre et la foudre masquent sa stèle, mais c’est dans l’intensité de ces sensations que prend corps cette voix qui, dans Noces, célèbre la fusion élémentaire de l’homme et du monde. Paris, hiver 2010
Florence Codet
Au milieu de l’hiver j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible. (« Retour à Tipasa ») MATIN À TIPAZA Je n’avais aucun titre pour m’intéresser à Albert Camus. Mais je me suis retrouvé marin en Algérie, puis à terre à Oran durant « les événements ». Par hasard prémonitoire sans doute, dans la bibliothèque du bord, je tombai sur Noces puis, par la suite, sans hasard cette fois, sur deux ou trois autres titres qui me confirmèrent dans une sorte de stupéfaction fulgurante. Voilà que je me trouvais face à un « type » ( pardon, mais ce mot surgissait à l’état brut) qui sentait, qui voyait, qui pensait, comme moi, qui écrivait comme j’aurais aimé écrire, moi petit jeune homme de guère plus de dix-huit ans ! Ne me volait-il pas les mots de la bouche ? Dès lors navigant sur ce « continent liquide » méditerranéen, ou arpentant les rues d’Oran, parfois d’Alger en escales, au plus près des pas de Camus, m’obsédait l’idée d’une troublante capillarité entre ciel, mer et terre d’Algérie, pour accoucher d’un certain Albert Camus. Je n’avais, à l’époque, que des rudiments biographiques pour situer l’écrivain, mais c’était clair pour moi : au fond il n’avait pas tant de mérite que ça ! Dans cet espace béni des dieux, il suffisait de respirer les senteurs « volumineuses » des absinthes et lentisques, de fouler son sable, de se baigner à la fois dans sa lumière et son eau, de convoquer ses dieux, pour s’incorporer le pays en ses vertus et fascinations. Alors, faveur insigne, il vous délivrait le blanc-seing d’écrivain inspiré, voire de génie des lieux. Il vous donnait de parler en son nom, d’y gagner la légitimité de la célébration, la force de l’amour, du désir inconditionnel jusqu’aux limites de la lucidité. Je découvrais pour la première fois, ce que pouvait signifier un « lieu d’élection ». Mais un peu plus tard, la chance est l’enfant-prodigue du hasard, mon bateau venait à mouiller dans l’anse de Tipaza. Ce nom par une sorte de langueur envoûtante, m’était devenu magique, subjugué par l’auteur de Noces auquel je m’identifiais plus que jamais. Au matin, perché sur la passerelle avec les puissantes jumelles de l’homme de quart, l’eau avait pris la carnation des mers légendaires, l’allée de colonnes romaines imitait un défilé de mages comblés de présents, en marche vers une crèche païenne, et l’amphithéâtre un berceau pour l’enfant à venir. Sur la rive, corps idolâtres et corps chrétiens, dont à l’époque j’étais proche encore, s’ébrouaient dans une liturgie des origines. Approchée par mer, la Belle Romaine en ses « grands libertinages » méritait une profondeur de champ d’outre-mer et terre, et j’en concluais qu’avec mes jumelles, j’avais le privilège d’une contemplation dont ne pouvait se prévaloir « notre écrivain terrestre ». Ouf, je pouvais surenchérir sur mon auteur ! Ce n’était pas sans le secret orgueil de l’admirer, mais aussi de m’immerger dans la jouissance de ma propre admiration. La suite pouvait venir, nous serions d’égal à égal pour contempler les matins sur la mer et la terre d’Algérie. De ce jour, je crois, j’ai su que partout je serais en exil.
Daniel Goubier
Camus, le souvenir et la source. Je suis née un 7 novembre, comme Camus. C’était en 1953 ; j’ai quitté l’Algérie en 1962. En 1970 en terminale littéraire je découvrais L’Étranger en édition de poche. Je suis entrée en terre camusienne par L’Étranger. Était-il au programme de terminale ? Peut-être. Je lisais beaucoup de textes à côté, hors des prescriptions scolaires. Je n’ai pas beaucoup retenu l’histoire de Meursault. Je m’en suis aperçue à sa relecture. Le film de Visconti lui donnait le visage de Marcelo Mastroianni. Cette incarnation ne coïncidait pas vraiment avec l’image que je m’en étais faite. La première phrase est toujours une bannière de ralliement. C’est le début canonique d’un récit que je découvrais comme le Nouveau Monde, à l’instar du « Longtemps je me suis couché de bonne heure » de Proust. Le paragraphe donne la sensation glacée de mots acérés comme les entailles d’un pic à glace. Le crime de Meursault se déroule dans un pays solaire qui faisait déjà partie de mes souvenirs d’enfance. Je l’ai lu à Grenoble, ville de l’exil, télescopage du paradis perdu et d’une Sibérie intérieure. Après cette lecture, je voulais être écrivain. Je lisais Noces, L’Envers et l’Endroit en Pléiade. Je lisais Le Mythe de Sisyphe, lecture qui me permit de répondre à un devoir de philo « La philosophie du non » par des mots qui me valurent une très bonne note. La seule biographie que j’ai lue sur Camus est celle d’Herbert Lottman. C’est une biographie « à l’américaine » très factuelle, très documentée. Le biographe semble très renseigné sur la météo de l’époque. Je comble des lacunes impardonnables : la mort du père pendant la Grande Guerre, sa tombe à Saint-Brieuc, celle de Camus à Lourmarin, parmi les lavandes et bien d’autres informations aussi passionnantes que dénuées d’intérêt littéraire. Puis il y eut Le Premier Homme en 1994 qui me bouleversa. Au cours des années qui suivirent, je me consacrai à l’œuvre de Patrick Modiano, auteur qui ne croisait guère le chemin d’Albert Camus, ni dans la vie ni sur la page. En 2015 Camus est revenu me visiter grâce à Jean-Pierre Castellani pendant un colloque à Tlemcen. Il me raconte Tipasa. J’écoute et lis ses souvenirs d’adolescence. J’ai peur de faire comme lui le pèlerinage de la mémoire. Je ne veux pas affronter le réel, mais rêver à Camus, l’imaginer comme la source d’une patrie universelle faite de larmes séchées sur la page.
Annie Demeyere
De l’importance d’une dictée sur une amitié de 58 ans (à ce jour) Un beau texte pour la préparation du BEPC en 1958 en 3°, la suggestion du prof de lire le livre dont il était extrait (La Peste) : c’est ainsi que commence mon aventure dans l’univers camusien par affinité avec la personne et l’œuvre de notre ami à tous et toutes. Depuis mes 15 ans (j’en aurai bientôt 74), je suis tout ce qui concerne Camus et travaille à promouvoir à ma façon l’œuvre et le nom de Camus. Et ma «rencontre» physique insolite avec Camus dans des circonstances très particulières en Octobre 1959 à Reims, lors de la représentation des Possédés m’a été un choc (J’ai expliqué les guillemets dans un Bulletin SEC) Et me voici à Lourmarin au cimetière et dans la maison même de Camus, reçu avec ma femme en fauteuil par Catherine : beau moment d’émotion, être accueilli avec simplicité en ce lieu où Camus vécut, quel bonheur! Et voilà aussi la relecture – la retraite de l’industrie venue – des livres de et sur Camus (et il y en a eu à son 100e anniversaire dont le Dictionnaire !). Et aussi ma création du Groupe de Camusiens du Toulousain (51 réunions en 6 ans) où nous mettons régulièrement en commun nos niveaux de savoirs respectifs. « Pourquoi aimes-tu parler de Camus ? Pourquoi aimes-tu Camus ? » me demandent mes enfants, petits-enfants, amis qui me titillent gentiment. Ma seule réponse vraie est tripale, donc non raisonnable: c’est parce que c’est lui. Camus a une résonance en moi parce qu’il m’a « accroché » définitivement par son refus des systèmes, par son déchirement intérieur, par ses prises de positions courageuses dans Combat ou concernant la guerre d’Algérie, par son soutien à l’Espagne Républicaine. Non que je n’apprécie pas d’autres auteurs, mais lui, c’est un ami que j’aime, point. Incapable je suis pour expliquer savamment son œuvre, mais connaisseur suffisamment de sa biographie pour extraire des questions du Quizz annuel pour mes ami(e)s du Toulousain, proposé dans une belle ambiance conviviale ! Parce que c’est lui ne vous suffit pas. Mais c’est ainsi, 58 ans après ! J’affirme simplement que je ressens un beau sentiment de bien-être en parlant de lui, une amitié, une sérénité bienveillante. Je cherche toujours la réponse. Je sais en tout cas qu’il y a dans son œuvre de quoi spécialement satisfaire ma curiosité, ma réflexion, mon bonheur : cela suffit à remplit mon cœur d’homme. Voilà tout. Cornebarrieu (Occitanie)
Yves Ramier
De Camus à Cohen à Cosseri à Cioran et d’Alexandrie à Aix en Provence… Pas à pas en ami, à ses côtés en route pour Tipasa… Sur la route en chemin, en pèlerin pour Lourmarin.. Camus m’est tombé dessus sur le chemin de l’exil, d’Alexandrie à Aix en Provence… Je ne vis plus et ne regarde plus l’autre comme avant, désormais avec lui, j’admire, la description d’une lumière, la découverte d’un site, la rencontre avec un peuple, l’affirmation d’une volonté, le refus du désespoir, de l’absurdité de la vie, le sens de la bonne vie. La lecture de Camus est un pansement, une nourriture pour l’esprit, oui tout est bien chez lui, tout est juste, tout est bon avec lui. Tu nous manques Albert. Tes écrits et ton souvenir, nous aident à ne pas désespérer. Nous sommes tous orphelins de toi…… Alexandrie Aix en Provence Marsanne en Drôme
Pierre Hawawini
J’avais 3 ans lorsque Camus est mort dans cet accident de voiture si brutal qui l’a soustrait à ce monde. Soustrait ? Vraiment ? Depuis la classe de première, avec L’Étranger, Camus n’a cessé de m’accompagner, comme il ne cesse d’accompagner notre époque. Élevé dans une famille catholique, j’abordais à ce moment-là une période de foi vacillante, de doute cartésien ; elle allait aboutir, alors que j’avais 20 ans, à ce que j’appelle une rencontre avec Dieu qui allait changer ma vie et me conduire vers le protestantisme. En moi, Camus allait traverser ces bouleversements, intact. Ma première série d’émissions de radio pour les Groupes Bibliques Universitaires portera sur Camus et l’Ecclésiaste. Camus est mon Ecclésiaste du XXe siècle, celui qui ne triche pas avec l’absurdité d’un monde où nous sommes tous des condamnés à mort. Moi, je crois qu’il y a Quelqu’un qui nous attend de l’autre côté, et pourtant, comme Paul Viallaneix, mon regretté frère en protestantisme, je n’ai jamais pu ne pas ressentir Camus comme un frère. Lui aussi. Lui quand même. En 2016, comme j’avais interviewé Catherine Camus – par téléphone – pour Réforme à l’occasion du centenaire de la naissance de son père, j’eus le culot insensé de proposer de lui rendre visite lors d’un passage en Provence avec ma famille. Contre toute attente, elle se souvenait de moi, et elle allait nous recevoir dans la maison de Lourmarin avec une gentillesse que nous n’avons jamais oubliée. Aujourd’hui, elle est le lien direct, par-delà ce funeste 4 janvier 1960, que ma femme, nos enfants (dont notre fils, né un 7 novembre…) et moi avons avec Camus. Rare, surréaliste et pourtant si simple privilège. Si symbolique du fait que Camus n’est pas un être inaccessible grâce à sa fille qui en cela lui ressemble. Tout ce que je dis là est très superficiel, faute de place. J’ai pu exprimer en quoi Camus me parlait et parlait à notre temps dans divers articles, au travers de plusieurs interviews, et même au travers d’un livre récemment paru – ce n’est pas ici le lieu d’en dire plus à ce sujet. Je continue de lire Camus, de lire sur Camus, d’écrire au sujet de Camus. Je ne l’idolâtre pas parce que lui-même ne s’idolâtrait pas. En ces temps de tricherie généralisée, il reste un homme honnête, conscient de ses « erreurs et de ses fautes », comme il osa le confesser si courageusement. C’est peut-être la dimension du personnage qui me touche le plus. J’ai toujours envie de dire merci en le lisant… Bourges
Philippe Malidor
« Un homme ça s’empêche » « Se dire homme est un fait mais l’être en est un autre Il donne certes la vie mais il sait l’ôter aussi Un homme ça s’empêche mais d’ignorer cela, il se dépêche Pour tirer du profit, il se sert d’un enfant comme d’un outil Il violente la terre qui pourtant le nourrit, fait déborder la mer qui gémit Il tourne le dos au père, oublie le parfum de la mère Il tue sans remords qui ose penser autrement Il rejette le migrant en quête de jours décents Il entreprend la destruction de l’intelligence En donnant aux mots de nouveaux sens Il juge sur le paraître, il condamne sans connaître Il dit pardonner mais un procès est toujours engagé Jamais il ne s’arrête, jamais il ne s’oublie Il crie qu’il aime son frère mais c’est de lui-même dont il parle Il revendique la liberté pour lui, de l’Autre en vérité jamais il ne se soucie Il aime la liberté mais pas la responsabilité Un homme ça s’empêche !!! »
Classe de 4e - Collège César Franck - Amiens
Ma rencontre avec Camus. A chaque fois que j'ouvre les deux tomes de l'ancienne édition de La Pléiade, je suis saisi d'une certaine émotion : tous deux portent une mention manuscrite : « donné par » mes parents. Le premier Théâtre, récits, nouvelles est daté du 15 juin 1965 (jour de mon dix neuvième anniversaire) et le second Essais suit de près, car donné à Noël de la même année. C'est dans ma bibliothèque commencée dans ses années là le seul cas d'une telle continuité. L'image de la mort de Camus, fauché en pleine gloire, rejoint dans mes souvenirs celle de John Fitzerald Kennedy dont le portrait a longtemps figuré dans notre salle de classe du Lycée Condorcet à Paris fin 1963. Leurs engagements réciproques pour changer la société rejoignait aussi une certaine sensibilité politique qui commençait à se mettre en route… Et il y avait chez Camus comme un parfum de nouveauté, voire de subversion pour un auteur qui n'était pas encore étudié dans les classes secondaires. Mais c'est Noces qui fut l'éblouissement de la conjonction de la mer et du soleil présent dans une Algérie qui faisait aussi partie de la mythologie familiale. Et quand on tire un bout de laine, c'est toute la pelote qui vient... Que peut la littérature ? s'interrogeait Sartre au lendemain de son refus du Prix Nobel le 9 décembre 1964 à la Mutualité à Paris. L’œuvre de Camus dans sa trilogie : roman, théâtre, essais (philosophiques) apportait à mon sens une réponse à cette question en brisant une spécialisation (littérature / philosophie) trop pesante ou trop prégnante. La suite se déroula comme le scénario d'un film ou l'intrigue d'un roman : le hasard d'une nomination à Izmir en août 1970 où mon « patron » n'était autre qu'Edmond Charlot, dont j'avais, bien sûr repéré le nom, ayant sans doute déjà racheté sur les quais une réédition de Noces parue à la Libération et dont j'avais déjà largement entendu parler. Par les souvenirs évoqués, Camus prenait encore plus visage humain et s'inscrivait dans un milieu riche dont les témoins existaient encore. Il y eut ensuite, cet entrefilet discret du journal Le Monde annonçant à Paris la réunion fondatrice de la Société des études camusiennes le samedi 7 janvier 1984 qui fit immédiatement de moi le premier trésorier de la Société. Impressionné et aussi stimulé par ces autorités universitaires camusiennes, il me fallut du temps pour me mettre à travailler et oser partager mon Camus avec d'autres. Mais c'est une autre histoire, faite elle aussi de rencontres et de partages amicaux. 26 octobre 2017
Guy Basset