La Peste (1947)

Deuxième récit de Camus, sans doute le plus connu après L’Etranger, La Peste paraît le 10 juin 1947 aux éditions Gallimard et connaît un succès immédiat couronné par le Prix des Critiques. Cependant, ce roman commencé au Panelier en septembre 1942 et achevé à Paris fin 1946 arrivait deux ans trop tard : les contemporains de Camus préféraient oublier les années d’horreur qu’ils venaient de vivre et que ne manquait pas de leur rappeler l’histoire de Rieux et de ses compagnons confrontés à une épidémie de peste à Oran en 194. . Car, même si le roman a une portée allégorique qui l’inscrit hors du temps, il est aisé de reconnaître dans les préoccupations des Oranais emprisonnés entre les murs de leur cité empestée celles des Français pendant l’Occupation. En effet, de l’aveu même de l’écrivain dans une lettre à Roland Barthes en 1955, le roman peut se lire sur plusieurs portées. Dès sa conception, la peste représente l’allégorie de la guerre, « la peste brune ». Oran sous le fléau renvoie à la France occupée. L’aspect collectif de l’épidémie va induire des réactions individuelles. Mais cette attitude dépasse le fléau et se généralise à une lutte contre le mal en général. La confrontation avec « l’abstraction » impose une attitude, fonde une morale de la solidarité qui conduit à résister, comme le déclare Rieux : « Il faut être fou, lâche ou aveugle pour se résigner à la peste». Ce sera une règle de vie. La Peste marque donc dans l’œuvre de Camus le passage de l’absurde à la solidarité, de l’individuel au collectif et signifie l’entrée dans l’Histoire. Thèmes et personnages illustrent les convictions de l’artiste, convictions qu’il réaffirmera ensuite, en particulier à Stockholm lorsqu’il recevra le Prix Nobel : revendication de justice, de liberté, de dignité humaine, goût du bonheur défendu par Rambert et approuvé par Rieux, refus de la terreur et du meurtre, en particulier à travers les confidences de Tarrou. Confronté à la peine de mort, l’ami de Rieux, une des dernières victimes du fléau, décide de ne plus légitimer aucun homicide, même si et peut-être parce qu’il a participé à toutes les luttes de son époque. Car le roman se veut un témoignage, comme l’affirme le narrateur au début. Tout comme Camus, Tarrou et tous ceux qui rejoindront les formations sanitaires refuseront d’être des « salauds ». Histoire d’une maladie, maladie de l’Histoire,La Peste est aussi une méditation sur la condition humaine et en particulier sur le problème insoluble de la coexistence de Dieu et du mal sur terre. Le cas de Paneloux, qui perdait la foi dans la première version, restera à jamais « douteux ». Même si les personnages sont mus par un formidable élan de solidarité qui conduit à ne pas désespérer de l’homme, ce récit dont les femmes et les paysages sont singulièrement absents, où le bonheur reste une tension douloureuse à jamais incarnée par le journaliste Rambert, s’achève sur un appel à la vigilance de Rieux qui « savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse».

Marie-Thérèse Blondeau

 

Éléments bibliographiques :

Chavannes, François, Albert Camus : « Il faut vivre maintenant », Cerf, 1990.

Lévi-Valensi, Jacqueline, La Peste d’Albert Camus, Foliothèque 8, 1991.

Mino, Hiroshi, Le Silence dans l’œuvre d’Albert Camus, José Corti, 1987.

Numéros de revues :

– Albert Camus 8, Camus romancier : La Peste, Revue des lettres modernes, 1976.

– Roman 20-50 : La Peste d’Albert Camus, Revue d’étude du roman du XXe siècle, n.2, décembre 1986.

– Cahiers de Malagar : Il y a 50 ans, La Peste de Camus, XIII, Automne 1999

Société des Études Camusiennes
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