L’Été (1954)

Publié chez Gallimard en 1954, L’Eté est un recueil de huit textes dont la composition s’est égrenée depuis les lendemains de la publication de Noces (Charlot, Alger, 1939). C’est bien dans le prolongement deNoces que le « Prière d’insérer » situe ce nouveau recueil. « La seule évolution que l’on puisse y trouver est celle que suit normalement un homme entre vingt-cinq et quarante ans », écrit Camus. On le dira en effet volontiers de « Le Minotaure ou la halte d’Oran », qui fait pendant à « L’Eté à Alger » de Noces et dont les impressions, parfois pittoresques, mais souvent peu engageantes sur cette ville de l’ennui, sont une préparation à La Peste. Quand le texte parut pour la première fois en 1946, Camus se crut obligé de l’assortir d’un mot d’excuse à l’égard des Oranais… « Les Amandiers » datent du début de la guerre et « Prométhée aux enfers » de 1946. La réflexion s’y fait grave sur le délitement du monde moderne et la nécessité de combattre les souffrances et l’injustice. « Petit guide pour des villes sans passé » réconcilie Alger et Oran ; les deux villes témoignent de la beauté de la « race » des Européens (et surtout des Européennes) d’Algérie. Composé en 1948 et dédié à René Char, « L’Exil d’Hélène » exprime une nostalgie de la Beauté, qui a déserté la civilisation occidentale. Et c’est la vanité de ses contemporains que Camus dénonce en 1950 dans « L’Enigme » ; peut-être la résurgence de sa maladie a-t-elle contribué à assombrir cette fois le pessimisme de son texte. « Retour à Tipasa » se lira en miroir avec « Noces à Tipasa » ; mais cette belle journée où Camus se sent renaître ne témoigne plus de la fraîche innocence qui illuminait l’essai de Noces ; au moins, en cette année 1953 censée inaugurer un nouveau cycle dans son œuvre, s’impose plus que jamais à lui l’exigence de l’amour. « La Mer au plus près », qui clôture le recueil, est une sorte de poème en prose sur un sujet cher au cœur de Camus ; mais tandis que dans Noces, les rivages de Tipasa invitaient au séjour, les océans qu’il évoque ici appellent au départ, comme en écho au Bateau ivre de Rimbaud. L’Eté offre-t-il au lecteur de nouvelles « noces » ? Quoi qu’en dise Camus, le temps a fait plus qu’augmenter le nombre des années. La beauté et l’innocence qui semblaient, avant la guerre, offerts à qui voulait leur offrir ses sens, apparaissent plutôt désormais comme des biens qu’il faut savoir conquérir.

  Pierre-Louis Rey
Société des Études Camusiennes
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