Présence d’Albert Camus n°6 – 2014

Le numéro 6 de notre Revue Présence d’Albert Camus vient de paraître. En voici le sommaire et les résumés des contributions en français et anglais. Vous pouvez commander ce numéro (et les précédents également) au prix de 12€ le numéro (+ 3 € de frais de port pour la France) à l’adresse de l’association : 18 avenue René Coty, 75014, Paris.

SOMMAIRE

Agnès SPIQUEL, Éditorial

Albert CAMUS, « Le Bal des petits Lits blancs »
(avec une présentation de François BOGLIOLO)

CONTRIBUTIONS

Nathalie FROLOFF
« « Pluies de New York », une écriture photographique des impressions »
Hans Peter LUND
« Camus et la situation internationale dans les années 50 : la tragédie »
Pierre-Louis REY
« L’Été, variations sur un thème solaire »
Moez LAHMÉDI
« Caligula, le pédagogue et ses disciples »
Bertrand MURCIER
« Dans l’ombre et la lumière de Camus : Le Premier Homme de Gianni Amelio »
Jean-Pierre BÉNISTI
« Camus et les architectes d’Alger »

Travaux universitaires

Nedjib SIDI MOUSSA, Devenirs messalistes (1925-2013)
Vincenzo MAZZA, Jean-Louis Barrault – Albert Camus : l’enjeu de L’État de siège

Comptes-rendus

Albert Camus – Roger Martin du Gard, Correspondance, C. Sicard éd. (Alexis LAGER) ; Albert Camus – Francis Ponge, Correspondance,
J.-M. Gleize éd. (Marie-Thérèse BLONDEAU) ; Albert Camus – Louis Guilloux, Correspondance, A. Spiquel-Courdille éd. (Guy BASSET) ; Albert Camus, R. Gay-Crosier et Agnès Spiquel-Courdille dir. (Hans Peter LUND) ; P. Audi, Qui témoignera pour nous ? (Agnès SPIQUEL) ; J. Guérin, A. Camus. Littérature et politique (Agnès SPIQUEL) ; L. Arrizabalaga, Le Combat de Camus (Vincent GRÉGOIRE) ; È. Morisi, A. Camus, le souci des autres, (Anne-Marie TOURNEBIZE) ; I. Radisch, Das Ideal der Einfachheit ; A.-K. Reif, A. Camus. Vom Absurden zur Liebe(Brigitte SÄNDIG) ; A. Camus, l’histoire d’un style, A. M. Paillet dir. (Guy BASSET) ; Pourquoi Camus ? E. Castillo dir. (Anne-Marie TOURNEBIZE) ; A. Camus, RHLF, J. Guérin dir. (Agnès SPIQUEL ; Retrouvailles camusiennes, Synergies Inde (Hélène RUFAT).

Bibliographie

Vie de la Société des Études Camusiennes

Disparitions : Catherine Sellers, Jean-François Mattéi

Abstracts des contributions

RÉSUMÉS/ABSTRACTS des contributions :

Nathalie FROLOFF, « “Pluies de New York”, une écriture photographique des impressions »

Au printemps 1946, Camus part pour l’Amérique du Nord où il donne une série de conférences à la demande des Services culturels du Quai d’Orsay.
Au retour de son voyage, il écrit « Pluies de New-York » à partir des notes prises sur place mais aussi des lettres envoyées à Michel et Janine Gallimard, ses fidèles amis restés à Paris. Cette brève chronique paraît dans la revue suisse d’André Held, Formes et couleurs (n° 6, 1947), et constitue le texte d’ouverture de ce numéro consacré aux États-Unis. « Pluies de New-York » est encadré de deux photos en pleine page, l’une de Stieglitz, « Averses printanières », célèbre cliché du photographe américain, aux accents whistlériens, et d’une photo de Cartier-Bresson, « Washington : où garer sa voiture ? »
Depuis le New-York de Morand, les écrivains français se sont emparés de la ville tentaculaire, « île aux trois rivières », emblématique de mystère et de modernité. Camus, par ce texte écrit à partir de ses impressions, s’inscrit dans cette filiation littéraire en proposant un article personnel, loin du bruit et de la fureur politiques, à la différence de Sartre. Cette chronique new-yorkaise permet ainsi de garder une trace de ce voyage intense et constitue un contrepoint éclairant aux conférences prononcées devant le public américain. Camus y dresse le portrait d’une ville qui lui échappe et pourtant le séduit, en témoignant d’« images contrastées », aux accents mélancoliques.

Nathalie FROLOFF, « “Pluies de New York”, a photographic rendering of impressions »
In the Spring of 1946, Camus set out for North America where he gave a series of lectures at the request of the cultural service of the Quai d’Orsay (Ministry for Foreign Affairs).
On his return from the trip, he wrote « Pluies de New York (Rain in New York) » from notes jotted down in situ but also from letters sent to Michel and Janine Gallimard, his faithful friends who had remained in Paris. This brief chronicle appeared in André Held’s Swiss review Formes et couleurs (no.6, Nov 1947), and constitutes the opening text of this number devoted to the United States. « Pluies de New York » was framed by two full-page photographs, one by Steiglitz, « Spring Showers », a famous shot by the American photographer redolent of Whistler, and a photo by Cartier-Bresson, « Washington : where to park your car? »
Ever since Morand’s New York, French writers have seized on the sprawling city, “island amid three rivers”, the embodiment of mystery and modernity. Camus, in this text composed from his own impressions, locates himself within this literary inheritance by proposing a personal article, far removed from the political sound and fury, unlike Sartre. This chronicle of New York also provides a means to preserve a trace of the intense journey and furnishes an illuminating counterpoint to the lectures delivered to the American public. In it Camus draws a portrait of a city which eludes him and yet entrances him, bearing witness to « contrasting images » with melancholy resonances.

Hans Peter LUND, « Camus et la situation internationale dans les années 50 : la tragédie »
La notion de « tragédie » apparaît souvent chez Camus au cours des années 50 pour désigner la situation indépassable dans laquelle peuvent se trouver les hommes révoltés aussi bien que l’artiste qui se sent isolé de la collectivité. Pour Camus lui-même, l’activité journalistique dans Combat avait été le moment d’une activité commune et efficace qui trouvera son contrepoint dans son isolement après le débat autour de L’Homme révolté. En même temps, la situation internationale, les révoltes réprimées en Pologne, en RDA et en Hongrie, l’Espagne franquiste et tout particulièrement la guerre d’Algérie, sans issue pour Camus sur le plan personnel aussi, sont autant de tragédies. En 1956, son « Appel pour une trêve civile » s’exprime sous la forme d’un je faisant appel à un nous, correspondant à son projet d’une association des deux peuples d’Algérie engagés dans la guerre civile. Cependant, là comme ailleurs, le conflit ne se laisse pas surmonter, et la notion de « tragédie » finit par former la trame sur laquelle il élabore ses interventions d’homme engagé et à travers laquelle il voit sa propre situation.

Hans Peter LUND, « Camus and the international situation in the 1950’ »
The concept of tragedy often appears in Camus’s works in the 50s to describe the unsurpassable situation in which rebelling men can find themselves as well as the artist who feels isolated from the community. For Camus himself, journalistic activity at Combat had been a time of common and effective activity which would find its counterpoint in the author’s isolation after the debate around L’Homme révolté. At the same time, the international situation, the suppressed revolts in Poland, East Germany and Hungary, Franco’s Spain, and especially the war in Algeria which was hopeless for Camus on a personal level, are as many tragedies. In 1956, his “Call for a civil truce” is expressed in the form of an “I” referring to a “you”, a “you” corresponding to his project of a combination of the two peoples of Algeria engaged in the civil war. However, here as elsewhere, the conflict doesn’t find a solution, and the notion of “tragedy” eventually ends up forming the frame on which Camus develops his interventions as an “involved man” and through which he sees his own situation.

Pierre-Louis REY, « L’Été, variations sur un thème solaire »
Moins célèbre que Noces (1939), L’Été (1954) en est à certains égards le pendant. Écrits de 1939 à 1953, ses huit textes témoignent de l’évolution d’un homme, mais ils sont unis par un « thème solaire». Plutôt qu’une saison, le titre du recueil désigne cet espoir qui, jusqu’au cœur de l’hiver, perdure chez l’homme à la manière d’« un été invincible ». Mais le bonheur n’est plus donné, comme dans Noces : le poids des années et les épreuves de la guerre obligent désormais à le conquérir. L’Étén’est pas l’œuvre la plus accomplie de Camus, mais celle qui propose la palette la plus diversifiée de sa pensée et de son génie d’écrivain. Du parler des Français d’Algérie, maîtrisé par la facture classique de L’Étranger, « Le Minotaure » offre des échantillons que Le Premier Homme aurait eu vocation à développer. « Les Amandiers » font écho à la pensée de Nietzsche. « Prométhée aux enfers » relaie Le Mythe de Sisyphe pour nous faire accéder, grâce à une lucidité accrue, de l’absurde à la révolte. « Petit Guide pour des villes sans passé » témoigne plaisamment des partis pris locaux. « L’Exil d’Hélène » est à la fois une ode à la Beauté, dont la civilisation moderne se détourne, et un prélude à la « pensée de midi », rayonnante à la fin de L’Homme révolté. « L’Énigme » accompagne une réflexion sur le langage amorcée dans un dialogue avec Brice Parain. Retour à Tipasa inaugure ce qui devait être l’« étage de l’amour ». « La Mer au plus près », enfin, est un poème lyrique. Camus poète ? Au fil du recueil s’est esquissé le génie, éclatant dans « La Postérité du soleil », de celui qui avait élu en René Char un fraternel compagnon d’inspiration.

Pierre-Louis REY, « L’Été, variations on a solar theme »
L’Été (1954), even though a less famous than Noces (1939), is in some respects its mirror image. These eight texts written from 1939 to 1953 testify to the evolution of a writer, but are also united by a solar theme. More than a simple reference to a season, the title of this collection alludes to the hope which persists in humans like an “invincible summer” in the “heart of winter”. But happiness is no longer a given in these stories, like in Noces. The weight of years and the hardships of war now oblige the reader to conquer it. L’Été is not the most accomplished work of Camus, but it is the one that offers the most diverse range of his thoughts and his genius as a writer. “Le Minotaure” offers linguistic samples of the “classic style” of French Algerian spoken language, a language already illustrated in L’Étranger and that Le Premier Homme would probably have developed. “Les Amandiers” mirrors Nietszche’s thought. “Prométhée aux enfers” provides a sequel to Le Mythe de Sisyphe enabling the reader to get from Absurd to Revolt, by means of increased lucidity. “Petit guide pour des villes sans passé” light-heartedly reflects local prejudices. “L’Exil d’Hélène” is both an ode to beauty which modern civilization turns away from, and a prelude to the “pensée de midi” which shines at the end of L’Homme révolté. « L’Énigme » extends a reflection on language that began in a dialogue with Brice Parain. “Retour à Tipasa” inaugurates what was intended to be the “stage of love”. “La Mer au plus près” finally is a lyrical poem. Therefore: Camus, a poet? Throughout the collection of texts, his genius is in evidence, particularly in “La Postérité du soleil”. It is the genius of a writer who found in René Char a fraternal companion and a source of inspiration.

Moez LAHMÉDI, «Caligula d’Albert Camus, le pédagogue et ses disciples »/strong>
La critique camusienne a toujours marginalisé le thème de l’apprentissage et la figure du pédagogue dans Caligula au profit de la question philosophique, certes centrale, de l’absurdité et du nihilisme. Pourtant, les quatre actes de la pièce sont placés sous le double signe de l’apprentissage et du savoir. Un savoir que l’empereur-professeur s’efforcera de transmettre à ses apprenants qui forment une classe hétérogène et ce, en appliquant différents types de pédagogie.

Moez LAHMÉDI, « Caligula by Albert Camus, the pedagogue and his disciples »
Camusian criticism has always marginalized the theme of learning and the motif of the teacher in Caligula in favor of the central philosophical question, indeed central, of absurdity and nihilism. However, the four acts of the tragedy are placed under the double sign of learning and knowledge. A knowledge which the emperor-professor will endeavor to transmit to his students, who form a miscellaneous classroom, by applying various kinds of pedagogy.

Bertrand MURCIER, « Dans l’ombre et la lumière de Camus : Le Premier Homme de Gianni Amelio »
En 2013 sortait en France l’adaptation par Gianni Amelio du Premier Homme d’Albert Camus. Cette transposition cinématographique reprend un grand nombre d’épisodes du roman en les concentrant autour de 1924 (fin des études primaires de Jacques Cormery) et 1957 (une visite en Algérie où il revoit ses proches : sa mère, son oncle , son vieil instituteur). L’accent est nettement mis sur l’engagement politique de Jacques, dans le contexte de l’actualité menaçante en 1957 et du statut d’intellectuel reconnu du protagoniste. Le film rééquilibre à sa façon les allers retours entre l’enfance et l’âge mûr, avec un jeu temporel subtil et parfois spécifiquement cinématographique. Amelio a inventé quelques scènes absentes du livre mais tout à fait dans la ligne de sa composante autobiographique, dans laquelle la quête du père est pleinement reprise en compte. C’est à travers une esthétique très classique que les images et le son prennent le relais du texte : cadrages, lumière et musique, flux des séquences et direction des acteurs témoignent davantage d’un respect admiratif que d’audaces personnelles de la part du réalisateur.

Bertrand MURCIER, « In the Camus’ shadow and light : Le Premier Homme of Gianni Amelio »
In 2013 the cinema adaptation by Gianni Amelio of Albert Camus’ The First Man was released in France. This film version reproduces a large number of episodes in the novel, concentrated around 1924 (the end of Jacques Cormery’s primary school education) and 1957 (a visit to Algeria to see his family and acquaintances : his Mother, his uncle, his old primary-school teacher). The emphasis is placed on Jacques’ political involvement, with reference to the menacing events of 1957 and the protagonist’s status as a prominent intellectual. The film rebalances in its own manner the flashbacks and flash-forwards between childhood and adulthood, with a subtle and sometimes specifically cinematic interplay of time-shifts. Amelio has invented certain scenes not present in the book but quite in keeping with its autobiographical ingredients, in which the search for the father is fully represented. In line with a thoroughly classical aesthetic the images and soundtrack support the text : composition, lighting and music, the editing of sequences and the acting style testify more to admiring respect than to bold personal gestures on the part of the director.

Jean-Pierre BÉNISTI, “Camus et les architectes d’Alger”
Dans les années 30, Albert Camus fréquentait un groupe de jeunes gens épris de littérature et de philosophie, qui comprenait de futurs écrivains comme Max-Pol Fouchet, de futurs peintres comme Louis Bénisti ou René-Jean Clot, mais aussi de futurs architectes, comme Louis Miquel ou Jean de Maiisonseul.
Jean de Maisonseul, qui étudiait l’architecture à l’École des Beaux-arts d’Alger, sous la direction de Léon Claro, leur fit visiter la Casbah et les initia aux nouvelles conceptions architecturales exprimées par Le Corbusier. Lorsque ce dernier vint à Alger, c’est aussi Maisonseul qui le conduisit dans la Casbah.
L’un des premiers textes écrits par Camus, la Maison mauresque, décrit une villa bâtie par Claro.
Lorsque Camus dirigea le théâtre du Travail, puis le théâtre de l’Équipe, il retrouva les architectes Louis Miquel et Pierre-André Émery, qui partageaient avec lui une conception tout à fait architecturale du décor de théâtre.
En septembre 1954, un séisme détruisit la ville d’Orléansville (aujourd’hui Chlef). Camus se rendit sur les lieux, en compagnie de Maisonseul et des architectes Miquel et Simounet. Ces deux architectes étant chargé de faire les plans d’un théâtre au sein d’un centre culturel, Camus les conseilla pour la construction de l’espace scénique. Ce centre culturel fut inauguré en avril 1961

Jean-Pierre BÉNISTI, « Albert Camus and the architects of Alger »
In the 1930s, Albert Camus frequented a group of young people who were passionate about literature and philosophy, including future writers such as Max-Pol Fouchet, future painters such as Louis Bénisti or René-Jean Clot, but also future architects such as Louis Miquel and Jean de Maisonseul. Jean de Maisonseul, who studied architecture under Léon Claro at the Algiers École des Beaux-Arts, took them to visit the Casbah and introduced them to the new architectural thinking formulated by Le Corbusier. When Le Corbusier himself came to Algiers, it was also Maisonseul who acted as his guide in the Casbah. One of the earliest texts written by Camus, ‘La Maison mauresque’, describes a villa built by Claro. When Camus directed the Théâtre du Travail, subsequently the Théâtre de l’Équipe, he made contact once more with the architects Louis Miquel and Pierre-André Émery, who shared his profoundly architectural conception of the theatre. In September 1954, an earthquake destroyed the town of Orléansville (now Chlef). Camus visited the site, accompanied by Maisonseul and the architects Miquel and Simounet. These two architects had been given the job of drawing up plans for a theatre at the heart of a cultural centre, and Camus advised them on the construction of the stage space. The cultural centre was inaugurated in April 1961.

 

Alexis Lager
alexis.lager@gmail.com