Présence d’Albert Camus n°7 – 2015

 

Le numéro 7 de notre Revue Présence d’Albert Camus vient de paraître. En voici le sommaire et les résumés des contributions en français et anglais. Vous pouvez commander ce numéro (et les précédents également) au prix de 12€ le numéro (+ 3 € de frais de port pour la France) à l’adresse de l’association : 18 avenue René Coty, 75014, Paris.

SOMMAIRE

Albert CAMUS, « Histoire vraie », La Revue algérienne, Nouvelle Série n° 3, janvier 1939
(avec une présentation de Neil FOXLEE)

CONTRIBUTIONS

Pierre-Louis REY
« La lumière sur Hélène »

Hervé SANSON
« Albert Camus/Germaine Tillion face à la question algérienne »

Linda RASOAMANANA
« “L’Hôte” de Camus à l’épreuve du Neuvième Art par la médiation de Ferrandez : l’implicite est-il figurable en vignettes ? »

Michel BARRÉ
« Reflets plotiniens dans La Mort heureuse d’Albert Camus »

Jemma DUNNILL
« Meursault devant le miroir, un nouveau reflet : The Outsider de Sandra Smith »

Sofia CHATZIPETROU
« De l’autorité tragique à la justice autoritaire : Créon de Sophocle et Stepan de Camus »

François BOGLIOLO
« Un étrange toponyme colonial, Marengo, dans L’Étranger de Camus »

Sophie BASTIEN et Soundouss EL KETTANI
« L’énigme Camus mise en abyme »

Interview de Charlotte RONDELEZ « Audace et liberté » : propos recueillis par Agnès SPIQUEL et Anne-Marie TOURNEBIZE

Document :

Entretien avec Edmond CHARLOT par Hélène RUFAT

Travaux universitaires

Tomoko ANDO, La Nostalgie dans l’œuvre d’Albert Camus
Emanuela Francesca CELOTTO, Albert Camus : démocratie et totalitarisme

Comptes-rendus

Albert Camus, 23. L’Algérie de Camus, sous la direction de Philippe Vanney, Lettres Modernes Minard, Classiques Garnier (Pierre-Louis REY) ; Martin Rodan, Camus et l’antiquité, Bern, Peter Lang (Paul VIALLANEIX) ; Amina Azza-Bekat, Afifa Bererhi, Christiane Chaulet Achour, Bouba Mohammedi-Tabti, Quand les Algériens lisent Camus, Alger, Casbah éditions (Agnès SPIQUEL) ; Albert Camus oder der glückliche Sisyphos : Albert Camus ou Sisyphe heureux, édité par Willi Jung, Université de Bonn (Allemagne), V & R unipress, Bonn University Press (François VEZIN) ; La Réception transdisciplinaire d’Albert Camus, Actes du colloque international de l’Université de Jordanie, Librairie Alamereya, Amman-Jordanie (Marie-Thérèse BLONDEAU) ; Laurent Bove, Albert Camus, de la transfiguration, pour une expérimentation vitale de l’immanence, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. La philosophie à l’œuvre (Guy BASSET); Humanismes et religions. Albert Camus et Paul Ricœur, Jean-Marc Aveline (éd.), Berlin, Lit. Verlag, 2014, coll. Colloquium Salutis. Études en sciences et théologies des religions (Guy BASSET) ; Pierre Garrigues, Vers une métaphysique solaire. La question des « valeurs méditerranéennes » chez Élytis, Char et Camus , Éditions Walidoff, Tunis (Agnès SPIQUEL) ; Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête, Alger, éd. Barzakh, 2013 ; Arles, Actes Sud, 2014 (David H. WALKER)

Bibliographie

Vie de la Société des Études Camusiennes

Disparitions : Jean-Claude Brisville, Myriam Dechezelles, Herbert R. Lottman

Abstracts

RÉSUMÉS/ABSTRACTS/RESUMENES

Hervé Sanson, « Albert Camus/Germaine Tillion face à la question algérienne ».

La relation qu’entretinrent l’écrivain Albert Camus et l’anthropologue Germaine Tillion avec l’Algérie, coloniale puis en lutte pour son indépendance, s’avère être complexe et moins schématique que d’aucuns ont bien voulu le croire. À partir d’angles d’approche précis (la préservation des innocents, la Méditerranée, le 8 mai 1945, la « clochardisation » et le sort de la minorité européenne, Jean El Mouhoub Amrouche enfin), nous avons souhaité mettre en relief les points saillants de cette relation, et les convergences tout autant que les divergences entre ces deux grands intellectuels. Bien que chacun ait appréhendé le « problème algérien » avec sa sensibilité propre, et depuis sa connaissance spécifique du terrain, socio-anthropologique et économique pour Tillion, économique et socio-psycho-affective (c’est-à-dire engagée à son corps défendant) pour Camus, ils ont tous deux mésestimé la dimension politique, c’est-à-dire nationale, du conflit, et souhaité une préservation du lien unissant la France et l’Algérie, rejetant l’option indépendantiste. In fine, la solution d’une Algérie reliée à la France dans un cadre fédéral a emporté leurs suffrages. Ces premiers jalons mériteraient une étude plus approfondie que le volume imparti à un article ne pouvait permettre.

Hervé SANSON, « Albert Camus and Germaine Tillion on the issue of Algeria »..

The respective relationships that writer Albert Camus and anthropologist Germaine Tillion shared with Algeria, from the country’s colonial days to its struggle for independence, prove to be complex and less schematic than some have suggested. By way of several precise frames of reference (the preservation of the innocent, the Mediterranean, May 8, 1945, homelessness (“clochardisation”) and the fate of the European minority, Jean El Mouhoub Amrouche), we propose to highlight salient aspects of these relationships, as well as the convergences and divergences between these two great intellectuals. Although each addressed the “Algerian problem” with their own sensibility, based upon their intimate knowledge of the region, socio-anthropological and economic for Tillion; economic and socio-psycho-affective (in other words, one of reluctant commitment) for Camus, they both underestimated the political (that is, national) dimension of the conflict, and desired a preservation of the ties linking France and Algeria, thus rejecting the option of sovereignty. Ultimately, the solution of an Algeria linked to France within a federal framework won their vote. These first explorations of this topic warrant a more in-depth study that the limited length of this article will not allow.

Hervé SANSON, « Albert Camus/Germaine Tillion frente a la cuestión argelina ».

La relación que mantienen Albert Camus y la antropóloga Germaine Tillion con la Argelia, colonial y luego en lucha por su independencia, resulta ser más compleja y menos esquemática de lo que algunos han tenido a bien creer. A partir de ángulos de enfoque precisos (la protección de los inocentes, el Mediterráneo, el 8 de mayo de 1945, el radical empobrecimiento y el destino de la minoría europea o, finalmente, Jean El Mouhoub Amrouche), hemos intentado destacar los aspectos sobresalientes de esta relación, y tanto las convergencias como las divergencias entre estos dos grandes intelectuales. A pesar de que cada uno abordase el «problema argelino» con su propia sensibilidad, y a partir de su conocimiento específico del terreno, socio-antropológico y económico en el caso de Tillion, económico y socio-psico-afectivo (es decir, a regañadientes comprometido) en el de Camus, ambos infravaloraron la dimensión política, es decir, nacional, del conflicto y desearon preservar el vínculo que unía a Francia y a Argelia, rechazando la opción independentista. Finalmente, se inclinaron por la solución de una Argelia unida a Francia dentro de un marco federal. Este primer esbozo merecería un estudio más profundo de lo que el espacio reservado a un artículo puede permitir.

Linda RASOAMANANA, L’Hôte de Camus à l’épreuve du Neuvième Art par la médiation de Ferrandez : l’implicite est-il figurable en vignettes ?

En adaptant en bande dessinée une nouvelle aussi complexe que L’Hôte de Camus, Ferrandez a relevé en 2009 un véritable défi intersémiotique. Mais le récit en images ne court-il pas le risque de trahir l’implicite au cœur du texte camusien ? C’est la question à laquelle l’étude s’efforce de répondre. Tout d’abord sont analysés tous les dispositifs spécifiques au Neuvième Art servant au mieux le récit, notamment l’organisation des planches qui, ici, renforcent la continuité narrative. Ensuite est abordé l’impact herméneutique de certains partis pris éditoriaux et péritextuels d’une part, de certaines infidélités du dessinateur d’autre part. Toutefois ces initiatives ne dénaturent pas l’ambiguïté essentielle du récit. Est donc valorisée dans une dernière partie la remarquable densité du récit et de l’album, pareillement innervés par les problématiques de l’hospitalité, de l’altérité et du devoir et pareillement vivifiés d’une ironie qui tourmente sans jamais conclure.

Linda RASOAMANANA, « Albert Camus’s Guest Submitted to the Test of the “Graphic Novel” through the Mediation of Jacques Ferrandez: Can the Implicit be Expressed by the way of Bubbles? »

While adapting a story as complex as The Guest into a “graphic novel”, Ferrandez faced a real intersemiotic challenge in 2009. Does the plot set in drawings not take the risk of betraying the implicit message at the heart of Camus’s text? It is the question this study addresses. First of all, all the techniques characterizing the Ninth Art (the Graphic Art) that are used to enhance the storytelling of The Guest are analyzed here, particularly the arrangement of the series of drawings which help reinforce the narrative continuity of the story. Moreover, the hermeneutic impact of some voluntary editorial choices on one side, of some original artistic license by Ferrandez on the other, is developed here. However, these decisions made by the artist do not alter the fundamental ambiguity of the plot. In the last part of the “graphic novel”, this study shows the remarkable density and depth of the original story and its successful graphic rendition, both influenced by the themes of hospitality, alterity, duty, and both enhanced by an irony which torments the reader without bringing any conclusion.

Linda RASOAMANANA, El Huésped de Camus a prueba del Noveno Arte por mediación de Ferrández: ¿es posible representar lo implícito por medio de viñetas?

Al adaptar en cómic una novela corta tan compleja como El Huésped de Camus, Ferrández aceptó, en 2009, un auténtico reto intersemiótico. ¿Acaso el relato en imágenes no corre el riesgo de traicionar lo implícito que subyace en lo más profundo del texto camusiano? Es la pregunta a la que este estudio intenta responder. En primer lugar, se analizan todos los dispositivos específicos del Noveno Arte que mejor contribuyen al relato, sobre todo la organización de las láminas que, en este caso, refuerzan la continuidad narrativa. Luego, se aborda el impacto hermenéutico de algunas decisiones editoriales y peritextuales, por una parte, y de determinadas infidelidades del dibujante, por otra. Sin embargo, estas iniciativas no adulteran la ambigüedad esencial del relato. Se destaca, así, en una última parte, la notable densidad del relato y del álbum, igualmente inervados por las problemáticas de la hospitalidad, de la alteridad y del deber e igualmente vivificados por una ironía que atormenta sin concluir jamás.

Michel BARRÉ, Reflets plotiniens dans La Mort heureuse d’Albert Camus .

Dans son Diplôme d’Études Supérieures Métaphysique chrétienne et Néoplatonisme Camus, qui entreprenait alors la rédaction de La Mort heureuse, consacrait une part importante de son étude à Plotin. A lire en parallèle les Ennéades et La Mort heureuse, de multiples reflets des écrits du néoplatonicien se laissent entrevoir dans la première tentative romanesque de Camus. L’itinéraire quasi mystique de Mersault, à la suite de la mort de Zagreus, sa remontée vers la lumière jusqu’à atteindre l’extase mystique : « Et pierre parmi les pierres, il retourne dans la joie de son cœur à la vérité des mondes immobiles », cet itinéraire incluant ascèse et dépouillement, offre des similitudes avec le cheminement de l’âme plotinienne vers l’UN. Mais si l’élan mystique chez Plotin tend vers l’au-delà : « Enfuyons-nous vers notre chère patrie », cet élan chez Camus se réfracte qui affirmera : « Cette union que souhaitait Plotin, quoi d’étrange à la retrouver sur la terre ». Il reste néanmoins, en dépit de cette différence capitale, que ne cessent d’affleurer dans La Mort heureuse des images plotiniennes révélatrices d’une inquiétude métaphysique en même temps que d’un goût de l’élucidation, dualité bien camusienne.

Michel BARRÉ, Plotinian influences in A Happy Death by Albert Camus.

In his post graduate degree thesis, Christian Metaphysics and Neoplatonism, Camus, who at the time had begun work on A Happy Death, devotes a considerable section to the study of Plotinus. Reading The Enneads and A Happy Death side by side allows for numerous influences of the Neoplatonist’s writings to be observed in Camus’s first fictional endeavor. Mersault’s essentially mystical path following Zagreus’s death, his rise toward the light to the point of mystical ecstasy: “And stone among stones, he returns in the joy of his heart to the truth of motionless worlds”, this itinerary including asceticism and austerity, offers similarities with the progression of the Plotinian soul toward the One. But if Plotinus’ mystical momentum extends toward the afterlife: “Let’s flee toward our dear homeland”, the momentum found in Camus’s works goes in a different direction: “The union for which Plotinus hoped, what is strange about finding it on Earth.” In spite of this crucial difference, Plotinian images continue to emerge in A Happy Death, indicative of both metaphysical anxiety and a desire for elucidation—a duality characteristic of Camus.

Michel BARRÉ, Reflejos plotinianos en La Muerte feliz de Albert Camus.

En el trabajo realizado para obtener el Diploma de Estudios Superiores, Metafἰsica cristiana y Neoplatónismo, Camus, que por entonces emprendía la redacción de La Muerte feliz, dedicaba una parte importante de su estudio a Plotino. Si se leen en paralelo las Enéadas yLa Muerte feliz, pueden entreverse numerosos reflejos de los escritos del neoplatónico en este primer intento novelesco de Camus. El itinerario casi místico de Mersault, tras la muerte de Zagreus, su ascensión hacia la luz hasta alcanzar el éxtasis místico: «Y piedra entre las piedras, retorna en la alegría de su corazón a la verdad de los mundos inmóviles», incluyendo ese itinerario ascesis y privación, ofrece semejanzas con el recorrido del alma plotiniana hacia el UNO. Pero, si el impulso místico tiende en Plotino hacia el más allá: «Huyamos hacia nuestra querida patria», este impulso se refracta en Camus, que afirmará: «No es extraño encontrar en la tierra esta unión anhelada por Plotino». Perviven, sin embargo, a pesar de esta diferencia capital, imágenes plotinianas, que no dejan de aflorar en La Muerte feliz y que revelan una inquietud metafísica a la vez que una afición a la elucidación, dualidad muy camusiana.

Jemma DUNNILL, « Meursault devant le miroir, un nouveau reflet : The Outsider de Sandra Smith ».

La série incessante des traductions de L’Étranger d’Albert Camus a vu en 2012 la parution d’une nouvelle version anglaise de Sandra Smith : The Outsider. Celle-ci a connu un véritable succès en Angleterre au centenaire de la naissance de l’auteur. En novembre 2013, le centre culturel de Southbank à Londres a présenté une lecture dramatisée du texte intégral de Smith à guichets fermés, dans une mise en scène de James Runcie. L’année suivante cette traduction a été louée aux États-Unis dans une critique pour la New York Review of Books.
Mais pourquoi cette nécessité de traduire à nouveau L’Étranger, l’œuvre majeure qui a déjà été publiée en anglais deux fois au Royaume-Uni et deux fois aux États-Unis ? Cette cinquième version anglaise se justifie-t-elle vraiment ? Qu’apporte-t-elle de plus pour le lecteur anglophone qui n’a pas forcément accès au texte original ? En abordant de telles questions on est incité à réexaminer l’importance de certains éléments de L’Étranger qui en ont fait un chef d’œuvre littéraire. L’accent est mis sur les questions de lexique, sur l’importance des allusions à la religion et sur l’apparition répétitive de certaines expressions comme « cela m’était égal ». Le travail comparatif entre cette dernière traduction et les deux traductions anglaises précédentes (Gilbert, 1946 et Laredo, 1982) éclaire à la fois les qualités des traductions et les qualités intrinsèques du roman.

Jemma DUNNILL, « Meursault before the mirror, a new reflection: The Outsider by Sandra Smith ».

Albert Camus’ L’Étranger has inspired an unremitting series of translations worldwide, which expanded in 2012 to include the new English version by Sandra Smith: The Outsider. This enjoyed huge success in the UK to coincide with the centenary of the birth of the author. In November 2013, Southbank Centre in London hosted a dramatised reading of Smith’s entire text to a full audience, directed by James Runcie. The following year the translation was highly praised in The New York Review of Books.
But why the need to retranslate L’Étranger, a major work that has already been published in English – twice in the UK and twice in the USA? Is this fifth version justified? What more does it bring to the anglophone reader who does not necessarily have access to the original text? The discussion of such questions urges us to reconsider the importance of certain elements of L’Étranger which contribute towards making it a literary masterpiece. The focus will be on questions of lexis, the importance of allusions to religion and the repetition of certain expressions such as « cela m’était égal ». A commentary on the differences between this most recent translation and the two earlier versions published in the UK (Gilbert, 1946 and Laredo, 1982) illuminates both the merits of the translated texts and the intrinsic value of the novel.

Jemma DUNNILL, Meursault delante del espejo, un nuevo reflejo : The Outsider de Sandra Smith.

La serie continua de traducciones de El Extranjero de Albert Camus se enriqueció en 2012 con la parución de una nueva version inglesa de Sandra Smith : The Outsider. Este trabajo gozó de un gran éxito en Inglaterra con el centenario del nacimiento del autor. En noviembre 2013 el centro cultural de Southbank en Londres ofreció una lectura dramatizada del texto intégral de Smith con lleno total, en una puesta en escena de James Runcie. Al año siguiente esta traducción fue alabada en Estados Unidos en una critiqua por la New York Review of Books.
Pero ¿ porqué esta necesidad de traducir de nuevo El Extranjero, la obra maestra que ya fue publicada dos veces en inglés en el Reino Unido y también dos veces en Estados Unidos ? ¿ Esta quinta versión era realmente necesaria ?
¿Cuál es su ventaja para el lector anglófono que no tiene forzosamente acceso al texto original ? Con estas preguntas se nos sugiere reexaminar la importancia de ciertos elementos de El Extranjero que contribuyeron a que sea una obra maestra. Se insiste en la problemática del léxico, en la importancia de las alusiones a la religion y en la aparición repetitiva de ciertas expresiones como « cela m’est égal ». El trabajo comparativo entre esta traducción y las dos inglesas anteriores (Gilbert, 1946 et Laredo, 1982) ponen de relieve tanto las cualidades de las traducciones como las inherentes a la novela.

Sophie CHATZIPETROU, « De l’autorité tragique à la justice autoritaire : Créon de Sophocle et Stepan de Camus ».

Cet essai vise à étudier les figures d’autorité et leur symbolique dans deux pièces théâtrales : Antigone de Sophocle et Les Justes d’Albert Camus. Notre propos est d’examiner les façons dont est représentée l’autorité, incarnée dans les personnages de Créon et de Stepan.
Malgré la loi de la cité imposée par son oncle, Antigone décide d’ensevelir son frère et respecter le nómos ágraphos, la loi non-écrite. Or, elle n’est qu’en partie en dehors de la loi : elle forme avec Créon la double figure d’un même conflit insoluble, ouvrant le débat sur les problèmes d’une autorité trop absolue chez Sophocle. Si leur conflit idéologique et éthique désigne le contraste entre deux règles de vie, deux formes d’idéal et deux sortes de devoirs, il s’articule aussitôt avec celui de Stepan avec Kaliayev dans la pièce de Camus. Le premier, aveuglé par la quête d’une efficacité à tout prix, exige une justice absolue. Cependant, son erreur réside en ce qu’il croit que tout est permis ; sorte d’Antigone féminine, Kaliayev dénie l’absolutisme autoritaire, respectant la juste mesure. Égaré loin des vrais principes de la révolte et exigeant la révolution sans en prendre en compte les conséquences, Stepan devient complice de la tyrannie qu’il veut dénoncer. Comme Créon alors, qui représente plutôt l’être victime d’une illusion qu’il entretient sur son propre compte, Stepan est victime de l’abus du pouvoir envisagé par la révolution. Dans Antigone de Sophocle, comme plus tard dans Les Justes de Camus, le conflit de la justice et de l’autorité se porte à un niveau où il ne peut être résolu que par le choix de la juste mesure. Refusant l’autorité de Créon, Antigone dénonce la tyrannie et condamne son régime totalitaire. Au fur et à mesure, la justice révolutionnaire suggérée par Stepan devient tyrannique, au sens où elle supprime la valeur humaine et la mesure de la révolte. Toutefois, la position politique différente entre Antigone et Créon est issue d’une double et égale légitimité. Ce concept sophocléen – qui reconnaît que le droit se trouve de deux côtés à la fois – résume l’enjeu de la pièce camusienne. « Antigone a raison, mais Créon n’a pas tort » (OC III, p. 1121), affirme Camus. Toutes proportions gardées, Kaliayev a raison mais Stepan n’a pas tort lorsque – obsédé par l’illusion de l’autorité – il réfléchit et agit au nom de la révolution.

Sophie CHATZIPETROU, « From Tragic Authority to Authoritarian Justice : Sophocle’s Creon and Camus’s Stepan ».

This essay proposes to study the authority figures and their symbolism in two plays: Antigone by Sophocles and The Just Assassins by Albert Camus. The goal is to examine the ways in which the authority embodied in the characters of Creon and Stepan is represented.
Despite the law of the land imposed by her uncle, Antigone decides to bury her brother and to respect the nómos ágraphos, the unwritten law. However, Antigone is only partially acting outside the law: she forms with Creon a dual figure of the same irreconcilable conflict, thus opening the discussion of excessively absolute authority in Sophocles’ works. If their ideological and ethical conflict illustrates the contrast between two rules of existence, two types of ideal and two sorts of duty, it relates directly to the conflict involving Stepan and Kaliayev in Camus’s play. The former, blinded by a search for efficacy at all costs, demands absolute justice. His mistake however lies in thinking that anything is permissible; as a sort of feminine Antigone, Kaliayev refuses authoritarian absolutism and attempts to strike a balance, or juste mesure. Having strayed far from the true principles of revolt and demanding a revolution without considering its consequences, Stepan becomes complicit in the very tyranny he wishes to denounce. Like Creon, then, who represents the individual who falls victim to an illusion he holds with regard to himself, Stepan is a victim of the abuse of power envisioned by the revolution. In Sophocles’ Antigone, as in The Just Assassins, the conflict of justice and authority plays out in such a way that it can only be resolved by striking a just balance. Refusing the authority of Creon, Antigone denounces tyranny and condemns his totalitarian regime. The revolutionary justice suggested by Stepan becomes increasingly tyrannical, to the point where it eradicates human value and the just measure of revolt. Notwithstanding, the differing political position between Antigone and Creon is due to a double, equal legitimacy. This Sophoclean concept – which recognizes that the law is found on both sides at once – articulates the issue at stake in Camus’s play. “Antigone is right, but Creon is not wrong” (OC III, p. 1121), affirms Camus. Relatively speaking, Kaliayev is right but Stepan is not wrong when – obsessed by the illusion of authority – he reasons and acts in the name of the revolution.

Sophie CHATZIPETROU, De la trágica autoridad a la justicia autoritaria : Creón de Sófocles y Stepan de Camus.

Este ensayo se propone estudiar los personajes de autoridad y lo que simbolizan en dos obras teatrales : Antigona de Sófocles y los Justosde Alberto Camus. Nuestro propósito es examinar la manera en que se representa a la autoridad plasmada en los personajes de Creón y Stepan.
A pesar de la ley de la ciudad impuesta por su tío, Antigona decide enterrar a su hermano y respetar el nómos ágraphos, la ley no escrita.
Sin embargo, no está del todo fuera de la ley : Ella con Creón constituyen la doble figura de un mismo conflicto insoluble, así se abre el debate sobre los problemas que plantean una autoridad demasiada absoluta en Sófocles. Si el conflicto idéologico y ético que les opone representa el contraste entre dos reglas de vida, dos concepciones del idéal y dos clases de deberes, también de pronto corresponde al que opone Stepan a Kaliayev en la obra de Camus. El primero, obcecado por la búsqueda de la eficacia a toda costa, exige una justicia absoluta. Sin embargo su error está en que cree que todo está permitido ; a semejanza de Antigona mujer, Kaliayev niega el absolutismo autoritario respetando la justa medida. Descaminado lejos de los verdaderos principios de la rébellion y exigiendo la revolución sin tener en cuenta sus consecuencias, Stepan se vuelve cómplice de la tiranía que pretendía denunciar. Como Creón quien représenta más bien el ser víctima de una ilusion que uno entretienne sobre sí mismo, Stepan es una víctima del abuso de poder que propone la revolución. En la Antigona de Sófocles, como más tarde en Les justes de Camus el conflicto entre la justicia y la autoridad llega a tal nivel que no puede ser resuelto sino por la vía de la justa medida. Negando la autoridad de Creón, Antigona denuncia la tiranía y condena su régimen totalitatio. Según pasa el tiempo, la justicia revolucionaria propuesta por Stepan se vuelve tiránica, a medida que va borrando el valor humano y la mesura en la rebelión. Sin embargo, las distintas posiciones de Antigona y Creón son fruto de una doble e igual legitimidad. Este concepto de Sófocles – que reconoce que el derecho está de ambos lados – resume la postura de la obra camusiana. Antigona tiene razón pero Creón no está equivocado affirma Camus. En términos relativos, Kaliayev tiene razón pero Stepan no está equivocado Cuando – obceso por la ilusión de la autoridad – reflexiona y actua en nombre de la revolución.

François BOGLIOLO, « Un étrange toponyme colonial, Marengo, dans L’Étranger de Camus ».

Les leurres dont Camus émaille son œuvre demanderaient une réflexion. Apportons quelques exemples qu’offre L’Étranger. Ce récit – finalisé début 1940 à Paris – fut conçu et commencé à Alger, lieu et époque propices aux censeurs. Toute vérité coloniale n’est pas bonne à écrire. Car il existe un aspect social, donc colonial, qu’il faut masquer. Écrire sous la contrainte, en creux, pour être publié est un art difficile expliquant, qui sait ?, le texte bref. Parmi d’autres subterfuges le village où décède la mère du héros mérite une place de choix. Marengo ? Éclatante victoire ? Comment réduire ce toponyme à un sens transparent quand on connaît la dimension symbolique que Camus accorde au nom : personnages (Meursault) ou villes (Amsterdam). Alors se dévoilent rencontre mortelle et monde pénal. Décrypter la métaphore n’aide-t-il pas à éclairer d’un jour nouveau un isolement, une cécité ?

François BOGLIOLO, A Strange Colonial Toponym, Marengo, in Camus’s The Stranger.

We might reflect on the enticements scattered about in Camus’ work. Consider some examples offered by The Stranger. This story – finished in Paris in early 1940 – was conceived in Algiers at a time when censors reigned; and while all truth is good, not all colonial truth was then good to write. What was social was also colonial and thus had to be hidden. Writing under the constraints of censorship was not straightforward; it was a difficult art that explains – who knows? – the book’s brevity. The village where the hero’s mother dies is a special place. Marengo: a great victory – or a ruse, like so many others? Can the name of this place be so transparent in meaning, when we know the symbolic dimension that Camus gives to names of characters (Meursault) or cities (Amsterdam)? The name itself illuminates for us not only the deadly encounter but also the penal world. Does not deciphering the metaphor shed new light on the isolation and blindness of French Algerians?

François BOGLIOLO, Un extraño topónimo colonial, « Marengo », en El Extranjero de Camus.

Los señuelos con los que Camus salpica su obra exigirían una reflexión. Recordemos algunos ejemplos contenidos en El Extranjero. Este relato – acabado a principios de 1940 en París – fue concebido e iniciado en Argel, lugar y época propicios a los censores. No toda verdad colonial es apta para ser escrita. Pues existe un aspecto social, luego colonial, que conviene enmascarar. Escribir con restricciones, con cierta ambigüedad, para lograr ser publicado es un arte difícil, lo que explica, ¿quién sabe?, la brevedad del texto. Entre otros subterfugios, el pueblo en el que fallece la madre del héroe merece una atención especial. ¿Marengo? ¿Deslumbrante victoria? ¿Cómo reducir este topónimo a un sentido transparente cuando se conoce la dimensión simbólica que Camus otorga a los nombres, de personajes (Meursault) o de ciudades (Ámsterdam)? Entonces se desvelan el encuentro mortal y el código penal. ¿Descifrar la metáfora no ayuda a dar nueva luz a un aislamiento, a una ceguera?

Sophie BASTIEN et Soundouss EL KETTANI, « L’énigme Camus mise en abyme ».

Cet article fournit un compte rendu analytique du spectacle L’Énigme Camus : Une passion algérienne qui fut présenté à Montréal en novembre 2014. Il se divise en deux grands volets. Le premier, « La mise en abyme comme esthétique théâtrale », redevable à Sophie Bastien, se penche surtout sur des problèmes esthétiques. Il présente d’abord l’auteur et le metteur en scène de la pièce, identifie ensuite le corpus qu’elle traite, puisqu’il s’agit d’un montage, puis en analyse la structure métathéâtrale et la forme hétéroclite. Il s’interroge en dernier lieu sur le spectateur, d’autant plus que cette représentation s’apparente au genre documentaire.
Le second volet, « Polyphonie idéologique mise en abyme », écrit par Soundouss El Kettani, s’intéresse à la question idéologique. Soundouss y explore les dispositifs dialogiques qui établissent les liens entre Camus et l’Algérie dans le spectacle. Celui-ci, en effet, expose le blâme porté par plusieurs sur la réaction de Camus au mouvement d’indépendance algérien, défend l’amour de Camus pour une Algérie plurielle et illustre également la manière dont les Français d’Algérie voient dans Camus un rare espoir de préservation de leur mémoire collective.

Sophie BASTIEN et Soundouss EL KETTANI, Camus’ Enigma mise en abyme.

This article provides an analytical review of the play Camus the enigma : an Algerian passion which was performed in Montreal in November 2014. It divides into two major sections. The first, « Mise en abyme and the aesthetics of theatre », authored by Sophie Bastien, mainly considers aesthetic problems. Bastien begins by presenting the author and director of the play, then identifies the material it deals with, since it consists of a montage of texts, and subsequently analyses its metatheatrical structure and its heterogeneous form. Finally the notion of the spectator is examined, the more so as this production has affinities with the documentary genre.
The second section, « Ideological polyphony and mise en abyme », written by Soundouss El Kettani, addresses the issue of ideology. Soundouss explores the techniques of dialogue which establish links between Camus and Algeria in the play. Indeed the work reveals the criticism aimed by several commentators at Camus’s reaction to the Algerian independence movement, defends Camus’s love of a diverse and plural Algeria and also illustrates the way in which French Algerians see in Camus a rare ray of hope for the preservation of their collective memory.

Sophie BASTIEN et Soundouss EL KETTANI, « El enigma Camus mise en abyme »

Este artículo os ofrece una reseña analítica del espectáculo El enigma Camus : una pasión argelina, presentado en Montreal en noviembre 2014. Consta de dos grandes partes. La primera, «La puesta en abismocomo estética teatral», trabajo de Sophie Bastien, atiende sobre todo a los problemas de estética. Presenta, de entrada, al autor y al director de la obra, luego identifica el corpus que examina, puesto que se trata de un montaje, y a continuación analiza la estructura metateatral y la forma heteróclita. Al final se interroga sobre el espectador, ya que esta representación tiene rasgos comunes con el género documental.
La segunda parte, «Polifonía ideológica puesta en abismo», la debemos a Soundouss El Kettani, quien examina la cuestión ideológica. Soundouss explora los dispositivos dialógicos que establecen los lazos entre Camus y Argelia en el espectáculo. El crítico pone de manifiesto la reprobación de diversas personas en lo que toca a la actitud de Camus frente al movimiento de independencia argelino,luego defiende el amor de Camus por una Argelia plural y también comenta la manera en que los franceses de Argelia veían en Camus una poco compartida esperanza de preservar su memoria colectiva

 

Alexis Lager
alexis.lager@gmail.com